On leur avait pourtant dit de faire des efforts, de devenir des éco-citoyens, de privilégier les moyens de transport « propres ». Mais la circulation routière continuait à cracher ses émissions polluantes, tout comme la télévision à cette époque. On les avait prévenus qu’il fallait se mettre à produire de l’électricité sans rejets néfastes pour l’environnement. Mais les centrales à charbon s’époumonaient encore à travers le monde. Et on leur avait demandé de recycler, réparer, récupérer. Mais les déchets s’entassaient sereinement là où ils ne gênaient personne. Finalement, la prise de conscience collective a émergé sérieusement vers 2050, grâce à quelques excellentes campagnes de communication  d’associations militantes. Ou bien était-ce à cause de leurs actions raisonnables autant que percutantes auxquelles adhéraient de plus en plus de citoyens ? Peu importe, ensuite, les politiques ont suivi le mouvement ; ils n’avaient plus le choix face à ces déferlantes vertes soutenues par leur électorat. Persuader et manipuler un peuple était une chose ; s’y opposer en était une autre. Il était temps de prendre le train en marche, et de suivre tous ensemble cette majorité de citoyens engagés pour une gestion durable de notre planète. Nous étions mûrs.

Le transport aérien fut modernisé avec une flotte d’appareils hybrides, peu de temps après que le trafic mondial ait été réduit de 25%. Une fois régulé et contrôlé par les états, le marché fut d’abord saturé, puis la demande finit par s’adapter à l’offre. Et finalement, les premiers appareils à moteurs électriques assuraient des liaisons domestiques. Maintenant, les grandes villes étaient fermées à la circulation routière privée. Seuls les services publics, transports en commun inclus et les services de livraisons y circulaient, et uniquement en véhicules électriques. Les tramways arpentaient librement les métropoles et transportaient sereinement leurs millions de piétons, l’air de rien.

*

Cela faisait déjà plus de vingt minutes que je marchais. Un tramway bondé passait à ma gauche dans la rue. Chaque mètre parcouru me demandait un véritable effort, et je sentais mon impatience monter dangereusement. Mes propres pensées raisonnaient loin dans ma tête, à peine audibles, couvertes par une symphonie urbaine en las majeur. C’était éprouvant, mais je poursuivais ma percée, me frayant un chemin à travers cette jungle humaine. Un autre tram non moins rempli poursuivait le précédent à quelques centaines de mètres. Des coups de coude et des excuses insipides, presque machinales ; c’était ainsi que l’on avançait aujourd’hui. Des hommes pressés, des familles agglutinées devant les vitrines, des femmes hésitantes, des groupes insistants et des poussettes encombrantes recouvraient les pavés usés du trottoir que je devinais entre les escarpins, bottes, chaussures de ville, converses, baskets et autres originalités pédestres. Un doux vrombissement aigu trahi le passage du tram suivant. Les usagers contemplaient les piétons, l’air absent, qui leurs jetaient parfois un bref coup d’œil distrait en retour. S’ensuivaient généralement quelques bousculades poliment pardonnées. Bref, j’étais arrivé à Oxford Circus, on était samedi après-midi.

Traverser la place était une autre affaire ; au lieu de trafic routier, un flot quasi ininterrompu de trams et de bus électriques. Et tout autour de moi des piétons, encore des piétons. Alors que je faisais une pause, faisant les frais de quelques heurts  désolés, j’aperçus une jeune femme un peu plus loin, à ma droite. Elle était bien habillée, et devait être plutôt jolie. En réalité, je ne distinguais que les quelques fleurs de sa robe joyeuse, mais je l’imaginais radieuse et sexy, et un peu perdue aussi. Elle venait de tomber, et ne parvenait pas à se relever. Les passants continuaient sans s’arrêter, la bousculant davantage au lieu de l’aider. Je n’entendais même pas ses cris. Je marchais vers elle, tant bien que mal. Une femme lui marcha sur le ventre. Je ne percevais plus aucun son. Elle eut le souffle coupé. J’y étais presque. J’étais sur le point de la sauver quand un jeune homme, emporté par un élan passionné, probablement émoustillé à l’idée de retrouver sa dulcinée, pris appui sur la tête de la jolie malheureuse pour continuer sa course effrénée. Sans aucun bruit, la scène paraissait moins effrayante. Ce silence ne fut brisé que par le craquement de l’os de son nez s’enfonçant dans ses dernières pensées. Elle n’eut pas vraiment le temps de souffrir, et son assassin n’eut pas le temps de s’en apercevoir. Paul était en retard.

(…)

Février 2011.

Pour lire la suite de cette courte nouvelle, contactez-moi : nicolas@gutron.fr


Nicolas Gutron

Ecrivain en herbe fraîche, compositeur aux oreilles décalées et photographe amateur. Et le reste du temps, responsable communication digitale. En quelques mots, quelques notes et des pixels...

1 commentaire

Samy · 15 février 2011 à 22:09

ok, que de modifications par rapport à la version anglaise 🙂

See u old chap!

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