« Une lettre. Un mot. Et enfin, j’aperçois une phrase daignant se coucher devant moi. Sans arrières pensées. Un début. Le commencement. Pas terrible comme entrée en matière, mais il fallait bien commencer par quelque chose. Alors voici se prostituant pour moi, ces quelques mots couchés sur cette page que vous êtes en train de lire. Ou pas. Peu importe. »

Nicolas relut son introduction, sceptique. Il ne trouverait probablement personne pour partager son texte. Mais chaque chose en son temps ; il fallait déjà qu’il arrive jusqu’au bout de son projet. Il avait fait le plus dur ; il s’était lancé. Plus question de revenir en arrière maintenant. Parvenant à sortir de ses pensées un court instant, il cliqua sur le bouton « publier ». Et ça y était : son blog était maintenant publié, et il pouvait être lu par, potentiellement, environ deux milliards d’individus. A ce moment là, il se sentit fort, puissant et important. Il twitta à propos de son blog, puis partagea l’information sur Facebook et Knowtex.

Il avait prit part à quelque chose de plus grand que lui, qui le dépassait complètement. Mais qui lui donnait une raison de vivre et de se battre. Durant toute son existence, il avait toujours fait tout ce qu’on lui avait ordonné, sans jamais remettre en question, sans jamais même se demander ce que lui voulait faire. Aujourd’hui, c’était l’heure de sa revanche. Publier son blog offensif. Puis accepter d’en payer le prix fort ; mais la force de quelques mots est parfois étonnante.

Cela faisait des semaines et des mois qu’il préparait son blog, collectant les informations utiles, synthétisant les articles existants, écrivant des billets de ses propres mots. Retraçant l’histoire, les conflits, les coups de théâtre et les divers témoignages, c’était un travail titanesque. Mais il s’était institué de cette mission, qu’il allait mener à bien. Finalement, Knowtex, sous couvert de réseau social de la culture scientifique et technique, aura permis de s’organiser et de déployer une force de frappe simultanée. Transformé par la suite en réseau privé et hébergé en Suisse, c’était devenu le quartier général pour coordonner les actions de la riposte. Un même projet, des centaines de réalisations simultanées. Et il était à l’origine de tout ça. Tous libres et déterminés à le rester, chacun à sa manière, derrière le même projet fédérateur ; Préparer son blog accusateur, le publier à la date et l’heure convenue et envahir les réseaux sociaux. Le contenu ? Des mots surtout, et un peu plus bien sûr pour stopper la Haute Autorité. Il avait toutes les cartes entre ses mains, il suffisait de bien présenter et rédiger pour convaincre. Et surtout, ne pas se faire prendre avant d’avoir terminé.

Tout avait commencé avec Hadopi. Un projet qui avait fait un peu de bruit, mais de contestations en rebondissements, c’était en place. Et en pas si longtemps que ça. Au nom de la protection de la propriété intellectuelle. En soit, c’était presque inoffensif. Normal, en quelque sorte. Mais personne n’avait vu le tableau dans son ensemble ; Ce n’était que le début d’une grande escalade.

Petit à petit, la Haute Autorité, comme elle se faisait maintenant appeler, monta en puissance et étendit son rôle à un comité de censure de ce qui est publié sur le web. Bien sûr, Bruxelles n’approuvait pas, et alors ? Pendant que les politiques étaient en guerre, les citoyens français étaient en prison. Une prison nouvelle, bien étrange ; ils étaient enfermés à l’extérieur du « World Wide Web ».

« Que nous restions libres. Que les citoyens européens lisent ce message et regardent la production vidéo exclusive qui sera diffusée en directe, bientôt, et qui achèvera mon projet. Que tous et toutes twittent, retwittent et partagent ce qu’ils ont lu et vu. Alors, tout cela n’aura pas été vain. Nous devons réagir. Par une riposte graduée. Avec des sources multiples, une publication décentralisée, une diffusion instantanée jusqu’à saturation de leur système. En attendant l’action et les sanctions de Bruxelles. »

(…)

 

 

« Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.  – Matthieu 5, 5-6.
En attendant, pleurez et mourrez.
Ou (ré) agissez. »

(…)

Pas de réponse à la sonnette, alors on frappa à la porte. Nicolas vérifia que tout était bien prêt, correctement installé et opérationnel. La production de sa vie. Il esquissa un sourire en pensant qu’il ne pourrait pas faire de postproduction sur cette dernière séquence. Il se dirigea vers la porte d’entrée, se disant qu’il pouvait s’agir de quelqu’un d’autre, sans y croire vraiment. Des coups se firent entendre de nouveau. « Monsieur, veuillez ouvrir s’il vous plaît. » Il ouvrit. Deux hommes, un jeune et un plus âgé, se tenaient devant lui.

– Monsieur Umaps ? Nicolas Umaps ?
– C’est moi.
– Nous représentons la Haute Autorité. Vous avez commis un délit. Nous venons pour vous conduire à votre jugement, et votre sentence.
– Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
– Délit d’expression sur Internet entrant dans un thème interdit.
– Où allez-vous m’emmener ?
– Nulle part.
– Mais et cette histoire de jugem…

(…)

Octobre 2010.

Pour lire la suite de cette courte nouvelle, contactez-moi : nicolas@gutron.fr


Nicolas Gutron

Ecrivain en herbe fraîche, compositeur aux oreilles décalées et photographe amateur. Et le reste du temps, responsable communication digitale. En quelques mots, quelques notes et des pixels...

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