La porte s’ouvre. Enfin. J’étais sur le point de repartir… Ou d’enfoncer la porte. Je ne parvenais pas à trancher.

Un type dans la quarantaine, mal rasé et à l’air peu commode me lance un « Quoi ? ». Un peu sec, mais après tout, ce gars m’a évité de prendre une décision difficile. « Bourg-en-Bresse » A peine ai-je prononcé ce nom, qu’il recule et referme la porte en marmonnant « Dégage ». Mes Timberland n’en sont pas à leur première porte retenue. Un coup d’épaule, la porte se rouvre en grand, le type, qui ne s’attendait pas à une telle réaction, est bousculé. Je l’aide dans sa chute en le poussant en arrière. Une fois la porte refermée, je reprends la discussion en sortant mon couteau suisse, alors qu’il s’est assis par terre. Pendant que je cherche la lame, il esquisse un léger sourire, nerveux sans doute, qui disparaît aussitôt que la lame vient se planter dans sa cuisse. « Je t’écoute ». Je commence à tourner mon couteau dans sa plaie afin de m’assurer que je capte toute son attention et son sérieux.  « Putain je m’attendais pas à te rencontrer. Je n’y étais pour rien, tu t’adresses à la mauv… ». Un cri s’échappe. Le premier. Il avait réussi à rester silencieux jusqu’ici, la surprise lui ayant fait oublier sa douleur. La lame a fait un tour sur elle-même, sa blessure saigne abondamment, et le bruit mat que je viens d’entendre c’est son corps inconscient qui s’est affalé par terre. Il est maintenant allongé sur le lino de l’entrée, sa jambe baignant dans une flaque de sang.

Un lino lavande. Dommage, ça jure un peu. En revanche son sang est assorti avec un meuble rouge du salon que l’on entrevoit. Encore que. Non, décidément, cet homme a mauvais goût.

Pourquoi ne me prend-t-on jamais au sérieux ? C’est toujours la même chose. Je me promène rapidement dans son appartement. C’est effectivement un célibataire qui habite là. Une boîte de pizza, des canettes de coca, Télé Foot qui débite un flot de paroles et d’images affligeantes. Dimanche, c’est vrai. Il aurait peut-être mieux fait d’aller à la messe ce matin. Après avoir cherché sa chambre, je me rends à l’évidence : il dort dans ce canapé, l’appartement est un studio. Un grand studio certes, mais pas de chambre séparée. Je ne m’attarde pas sur la description des meubles et de la décoration : j’ai déjà dit que le locataire avait mauvais goût. A la recherche d’un album photo, de lettres, de n’importe quoi qui puisse me faire avancer. Rien. J’emporte son ordinateur portable, après avoir été nettoyer mon couteau à la cuisine.

Je pars chez le troisième type, avec l’espoir d’en apprendre davantage. Un professeur de 70 ans, qui a dû jouer un rôle important dans l’affaire. Il habite seul dans un pavillon à Emerainville. Quelle idée d’aller habiter si loin. Lui pourrait me donner les réponses que j’attends.  Il avait quoi, une cinquante d’années. Le plus vieux. Surement le responsable, qui dirigeait les deux autres. Mais pour faire quoi ? Dans quel but ? Et quel rapport avec moi ? Parce qu’il y a un rapport, le début de mes investigations et la réaction des deux types plus tôt le prouvent, je ne m’étais pas trompé. « On » ne m’avait pas menti.

« Lombonve ». Je sonne. C’est plus un bruit strident qu’une sonnerie qui retentit. Et merde, il doit être à moitié sourd. C’est bien ma veine. « Bonjour bonhomme, que veux-tu ? ». Je le bouscule, et nous voilà par terre tous les deux, lui est tombé sur son coccyx et je peux lire sur son visage ridé que c’est assez douloureux. Je me relève pour qu’il puisse à son tour se remettre debout.

Le respect c’est important. On ne parle pas aux gens qu’on ne connaît pas comme à des enfants. Il aura au moins appris ça aujourd’hui le vieux.

« Mais qu’est-ce que… ». Je fais mine de l’aider à se relever mais il refuse.  Il n’a donc pas compris le sens de ma bousculade. Peu importe je n’ai pas le temps, et je ne suis pas venu jusqu’ici pour ça. Sans un mot, je sors mon couteau suisse (j’avais pris soin de dégager la bonne lame quand il ne regardait pas vers moi), et pointe le salon d’un signe de tête. Une fois assis, tandis qu’il prend une mine songeuse, cherchant à comprendre ce qui venait de se passer et ce que je voulais, je remarque que le mobilier est plutôt moderne, ce qui est en contraste avec le style vestimentaire de mon hôte. Etrangement décalé. C’est à ce moment-là que je remarque que j’ai du mal à respirer, comme si l’air était rare dans cette pièce. Un air lourd et pesant. « Qu’est-ce que tu…vous me voulez ? ».

Il est donc passé au vouvoiement.  Il a compris. Ce n’est pas si compliqué finalement. Il suffit d’insister un peu pour obtenir le respect.

« Tu sais qui je suis ? ». Le vieillard sursaute. Cela faisait bien longtemps qu’on ne l’avait pas tutoyé. Il n’avait ni femme ni enfants, et pas vraiment d’amis. « Non… ». Mais je sens bien qu’il n’est lui-même pas convaincu de son affirmation. « Non… Ce n’est pas possible… ». Il plisse les sourcils, probablement en train de chercher dans sa mémoire des bribes d’information pour les remettre dans l’ordre. « Vincent ? ». « Oui. Je t’écoute. ».

*

« Il y a deux heures seulement ? J’arrive tout de suite. » L’inspecteur Fontanelle n’aimait pas être dérangé quand il s’imprégnait d’un dossier d’enquête difficile, mais ce coup de téléphone annonçait un cas plutôt insolite. Une agression, au domicile d’un homme d’un certain âge, au couteau, pas de vol. Le mobile est inconnu, le type dans un sale état. Piqué de curiosité personnelle plus que d’intérêt professionnel, il sort du commissariat et file en vitesse à l’adresse qu’il a griffonnée sur son carnet à spirale.

*

« Je me doutais qu’un jour viendrait… ». Le professeur Lombonve se lança. « A chercher, on finit par trouver…  J’imagine que tu ne sais rien sur toi, ton passé, tes parents ? Non évidemment, tout a été détruit. Il ne reste plus que toi. Preuve vivante et accablante des travaux conduit par le laboratoire dont j’étais responsable, près de Bourg-en-Bresse, de 1973 à 1999. Je me rappelle cet entretien durant l’été 1973. Un commanditaire mystérieux. Une seule mission. Des fonds illimités. C’était mon unique chance de prouver au monde scientifique mon talent et mon excellence. M. Ford.

(…)

Septembre 2010.

Pour lire la suite de cette courte nouvelle, contactez-moi : nicolas@gutron.fr


Nicolas Gutron

Ecrivain en herbe fraîche, compositeur aux oreilles décalées et photographe amateur. Et le reste du temps, responsable communication digitale. En quelques mots, quelques notes et des pixels...

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