Sages comme des images

« Ma’ion, Ma’ion ! »

C’était Antoine, trop fier du dessin qu’il venait tout juste de peaufiner pour attendre le passage de sa maîtresse à sa table. Du rouge et un peu de marron en cercles. Marion s’approchait lentement de derrière les boucles blondes du petit garçon, sa grande excitation cachant une légère anxiété à l’idée d’être jugé. Quelques touches de vert ; des points. Il éclata de rire alors qu’il la sentait s’avancer à sa hauteur, sans pouvoir la voir. Des bribes de lettres noires. Finalement, il tourna brusquement la tête et se retrouva nez à nez avec la jeune maîtresse. Pendant un instant, ses mèches châtain clair prirent une couleur dorée.  Un sourire s’était dessiné sur son visage apaisant qui trahissait à peine la fatigue accumulée de la semaine.

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Des ronds dans l’eau

C’était ici. L’une de ces maisons en briques rouges était leur siège. Un froid glacial envahissait Montréal et la 2ème avenue n’y échapperait pas. De simples escaliers en métal allaient peut-être me mener vers un monde meilleur.

J’attendais Alexandre Meunier, assis sur une chaise, en face du secrétaire qui, de son bureau, me lançait de brefs regards, par-dessus son écran. Dehors, le froid menaçait vainement le double vitrage épaulé par un chauffage redoutable. Meunier vint me chercher en personne. Il me tendait une main sûre d’elle, rassurante et engageante qui, alors que je la lui rendais, n’entama pas mon courage d’aller jusqu’au bout de ma démarche. Un léger sourire épousait son bouc discret. Des lunettes rectangulaires sans monture surplombaient ses joues rebondies et étaient dominées par une chevelure brune courte à peine bouclée. Son amabilité le précéda jusqu’à son bureau, un sobre espace qui mettait en avant l’organisation pour laquelle il était si fier de travailler. One Drop était mondialement connu et reconnu pour ses actions en faveur de l’accès à l’eau et de l’assainissement. Je m’attendais à une introduction un peu classique ; en fait je fus surpris par son entrée en matière, calme et posée.

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« Si » n’existe pas

Il fallait qu’il « L »’attrape. C’était une question de vie ou de mort. Il ne devait plus échouer. Heureusement Georges avait été sportif étant jeune ; et il avait toujours su conserver une bonne forme physique. Il « La » vit entrer dans un immeuble, par la porte d’entrée que poussait avec beaucoup de peine une vieille dame. Il s’y engagea sans hésiter, lui et ses larges épaules, bousculant la malheureuse qui passerait la soirée à l’hôpital au lieu de pouvoir gâter son petit-fils. « Elle » se déplaçait vite, mais Georges donnait tout ce qu’il avait en lui pour ne pas « La » perdre de vue. Seule une respiration plus rapide et sonore trahissait sa quarantaine entamée. Il grimpa les marches de l’escalier quatre à quatre, jusqu’au cinquième étage et atteignit la porte du toit, qui venait tout juste de se refermer. Par chance elle s’ouvra sans broncher. Ne pas « La » laisser s’échapper. « Elle » était son unique solution, son tremplin vers sa rédemption. Il le savait. « L »’attraper, c’était sa seule option. Pas d’alternative. Il s’élança sur la courte distance qu’il y avait entre cette porte et le bord du toit, bouscula sèchement un jeune homme pas bien grand que son champ de vision n’avait pas remarqué, et termina par un magnifique plongeon sur « Elle ».

Mais tout ce qu’il attrapa, ce fut le vide, suivi de très près par le toit d’un grand monospace.

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Pour la science !

Michel.

Michel valida l’édition du lendemain matin, après l’avoir étudiée minutieusement. Depuis toujours, il était perfectionniste. Il ne tolérait pas le satisfaisant, et encore moins la médiocrité. Il avait inscrit tous ses commentaires et notes de censure à même le papier, à l’aide d’un stylo. Il était le seul à disposer d’une version imprimée des informations d’intérêt général de Quotidia, comme à l’ancienne. Caprice d’un petit homme au grand pouvoir, ou nostalgie des temps plus difficiles où l’hégémonie des quotidiens d’information subissait les assauts répétés d’un nouveau média – Internet –, qui apporta à la liberté d’expression sa simplicité et son accessibilité.

Fort heureusement, cela ne dura qu’un temps relativement court. Après quelques dizaines d’années passées à constater son déclin, la presse réalisa d’abord que la compétition au sein d’un même média – le journal – consumait les forces nécessaires pour combattre l’émergence de nouveaux venus. Alors pour la France, Globe Presse fut créée. Son siège social fut placé à Sophia-Antipolis, avec Michel à sa tête. A force de tentatives vaines pour se diffuser sur Internet, le consortium eut bien plus de succès en y investissant et nouant des partenariats avec Google, Wikipedia, Twitter, Facebook, Youtube, Knowtex, etc. Les sites d’information publiés par Globe Presse étaient devenus les plus visibles sur la toile, effaçant les blogs des indépendants et autres leaders d’opinion qui n’avaient pas rejoint la maison mère.  Ce pseudo contrôle devint suffisant pour lancer un produit révolutionnaire : Quotidia. Un support interactif tactile semi-rigide au format A4 sur lequel se télécharge et s’affiche l’information en continu, composée d’articles du réseau Globe Presse (une couche commune pour l’information d’intérêt général, puis des articles plus spécialisées de la presse locale ou nationale, selon les centres d’intérêts définis par son lecteur), de n’importe où et à tout instant. A peine plus lourd qu’un magazine. Et tellement plus facile d’échanger ses opinions. Un abonnement mensuel raisonnable donnait droit à cette tablette ainsi qu’à l’accès à la base de données de Globe Presse. Toute l’information, sur le bout des doigts. Et accessoirement, Quotidia possédait les mêmes fonctionnalités qu’un ordinateur. L’engouement fut total. Le reste d’Internet continua d’exister. Il devint juste inutile. Sans voix.

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Une dernière recherche

Etats-Unis, le lendemain du Search Out. Il ne souriait plus. L’instant d’après, il embrassait à pleines dents la batte de baseball que lui tendit son agresseur. Sa mâchoire se brisa sous le choc, il perdit connaissance et tomba à terre sur le trottoir du célèbre boulevard. Sa main droite vint se poser sur l’étoile de Dean Martin. Une détonation se fit entendre, l’agresseur lâcha sa batte, pencha la tête vers son torse baigné de sang, et s’écroula sur sa victime. Une scène commune en cette journée historique. La police faisait de son mieux pour gérer cette situation sans précédent, ce qui impliquait de tirer à vue quand c’était nécessaire. Le jeune policier n’avait encore jamais tiré sur quelqu’un, et le temps que quelques frissons glacés lui parcourent le corps de haut en bas, il sentit une douleur vive à la nuque. Ses frissons disparurent avec son dernier souffle. D’abord il y eut des agressions, des meurtres, puis les premiers suicides apparurent. Du haut de ses 164 mètres, la Tour Eiffel observait cette ville étouffée par la violence. En fin de compte, la débauche lui allait mieux. « Whatever happens in Vegas… ».

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Rencontre à Oxford Circus

On leur avait pourtant dit de faire des efforts, de devenir des éco-citoyens, de privilégier les moyens de transport « propres ». Mais la circulation routière continuait à cracher ses émissions polluantes, tout comme la télévision à cette époque. On les avait prévenus qu’il fallait se mettre à produire de l’électricité sans rejets néfastes pour l’environnement. Mais les centrales à charbon s’époumonaient encore à travers le monde. Et on leur avait demandé de recycler, réparer, récupérer. Mais les déchets s’entassaient sereinement là où ils ne gênaient personne. Finalement, la prise de conscience collective a émergé sérieusement vers 2050, grâce à quelques excellentes campagnes de communication  d’associations militantes. Ou bien était-ce à cause de leurs actions raisonnables autant que percutantes auxquelles adhéraient de plus en plus de citoyens ? Peu importe, ensuite, les politiques ont suivi le mouvement ; ils n’avaient plus le choix face à ces déferlantes vertes soutenues par leur électorat. Persuader et manipuler un peuple était une chose ; s’y opposer en était une autre. Il était temps de prendre le train en marche, et de suivre tous ensemble cette majorité de citoyens engagés pour une gestion durable de notre planète. Nous étions mûrs.

Le transport aérien fut modernisé avec une flotte d’appareils hybrides, peu de temps après que le trafic mondial ait été réduit de 25%. Une fois régulé et contrôlé par les états, le marché fut d’abord saturé, puis la demande finit par s’adapter à l’offre. Et finalement, les premiers appareils à moteurs électriques assuraient des liaisons domestiques. Maintenant, les grandes villes étaient fermées à la circulation routière privée. Seuls les services publics, transports en commun inclus et les services de livraisons y circulaient, et uniquement en véhicules électriques. Les tramways arpentaient librement les métropoles et transportaient sereinement leurs millions de piétons, l’air de rien.

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Le combat sans fin

Il fallait que je parte d’ici. Au plus vite. Sinon j’allai mourir. Je tiendrai quelques minutes dans ce lieu sombre et oppressant, mais pas beaucoup plus. Que me veut cet homme, habillé comme quelques autres, qui s’approche de moi, portant ses outils de torture sur un plateau ? Autour de moi des murs sombres, des gens très occupés, ne faisant pas attention à mon malheur. Que dois-je faire ? L’ignorer ou l’agresser la première ? Mais hélas, assise sur ma chaise, je ne peux plus en bouger. Des liens m’y attachent solidement. Et voilà que cet homme s’arrête à ma hauteur et étale son savoir-faire sur la table. Il a là de quoi m’étouffer, m’asphyxier, m’empoisonner ; bref il aura le plaisir de choisir ma mort. Il commence à me dire quelques mots que je distingue à peine. Trop d’écho. Mes tympans bourdonnent. Je peux peut-être défaire mes liens. Sinon c’est la fin. Une fin qui aime se jouer de moi, hésitante, discrète et toujours imprévisible. Je commence à avoir du mal à respirer. Dans un dernier élan de volonté, comme un instinct de survie, mes liens cèdent, et je trouve la force et le courage de me lever, tremblante et haletante. Je bouscule l’homme, qui prend un air surprit – il ne s’attendait pas à ce que je parvienne à me libérer si facilement – et je m’élance vers la sortie.

Ça y est, je réussi enfin à sortir de ce restaurant.

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Une nuit à Kensington

L’automne. Londres. Ses vastes parcs parsemés d’une teinte rougeâtre, par endroits. Une gamme de couleurs unique. Un décor envoûtant. Et un peu sanglant, parfois. La venue du soir assombrit de belles maisons victoriennes régulièrement alignées dans une rue de Kensington. Impeccablement blanches. Un peu trop, peut-être.

La lumière rougeoyante tamisée à une fenêtre, à peine plus haute que la rue, éclabousse la nuit. Les rideaux pourpres semi-opaques sont surpiqués de fins motifs dorés. Ils ondulent voluptueusement derrière la fenêtre entrouverte.

Un coup de vent plus violent que les autres écarte les rideaux et révèle la pièce. Le luxe se respire partout; dans ce mélange coloré d’or et de rouge qui éclabousse la pièce, trop ostentatoire ; dans ses nouveaux sous-vêtements, trop brodés ; dans le somptueux costume clair qu’il portait encore il y a quelques minutes, trop ajusté ; dans l’étreinte qui mélange leurs parfums, trop endiablée.

Ils se retournent, laissant découvrir l’alliance de la femme, tout à fait du style de la décoration. Aucun doute, elle habite ici.

Leurs baisers sont tendres mais passionnés, presque amoureux. Alors qu’ils se dirigent vers le lit, enlacés, l’absence de bague au doigt de l’homme n’est pas vraiment une surprise.

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Prise de conscience

Avant de traverser, elle regarda bien à droite, à gauche, puis s’engagea avec son caddie. Il y avait beaucoup de monde au marché aujourd’hui. Ce n’était pas facile pour une vieille dame comme elle. Elle rentrait à chaque fois épuisée, mais tenait absolument à ce petit plaisir, symbole d’une autonomie dont elle était fière. Bien engagée sur le passage protégé, elle pensa à son petit fils. Quel cadeau allait-elle lui offrir cet après midi ? Soudain, elle entendit comme un sifflement, releva la tête, mais c’était trop tard pour l’éviter.

Elle fut tuée sur le coup. La chose volante aussi. Un bruit sourd de chair pénétrée, et en un battement d’aile, c’était terminé. Elle ne verrait pas son petit fils cet après midi, et elle n’aura pas besoin de se creuser la tête pour son cadeau. La chose ne reviendra pas parmi les siens.

Encore une urgence. A deux pâtés de maison d’ici. Loïc remis son casque, monta dans le camion et démarra, sirène rugissante.

C’était devenu la routine.

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En un mot

« Une lettre. Un mot. Et enfin, j’aperçois une phrase daignant se coucher devant moi. Sans arrières pensées. Un début. Le commencement. Pas terrible comme entrée en matière, mais il fallait bien commencer par quelque chose. Alors voici se prostituant pour moi, ces quelques mots couchés sur cette page que vous êtes en train de lire. Ou pas. Peu importe. »

Nicolas relut son introduction, sceptique. Il ne trouverait probablement personne pour partager son texte. Mais chaque chose en son temps ; il fallait déjà qu’il arrive jusqu’au bout de son projet. Il avait fait le plus dur ; il s’était lancé. Plus question de revenir en arrière maintenant. Parvenant à sortir de ses pensées un court instant, il cliqua sur le bouton « publier ». Et ça y était : son blog était maintenant publié, et il pouvait être lu par, potentiellement, environ deux milliards d’individus. A ce moment là, il se sentit fort, puissant et important. Il twitta à propos de son blog, puis partagea l’information sur Facebook et Knowtex.

Il avait prit part à quelque chose de plus grand que lui, qui le dépassait complètement. Mais qui lui donnait une raison de vivre et de se battre. Durant toute son existence, il avait toujours fait tout ce qu’on lui avait ordonné, sans jamais remettre en question, sans jamais même se demander ce que lui voulait faire. Aujourd’hui, c’était l’heure de sa revanche. Publier son blog offensif. Puis accepter d’en payer le prix fort ; mais la force de quelques mots est parfois étonnante.

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